A Tamazight, très jeune, je poursuivais, pieds nus, mon oncle M'hamed sur son âne. Je l'admirais beaucoup car c'était le seul de tout notre village à avoir des livres et une longue vue pour voir la lune... Il était le plus érudit, le plus instruit parmi les habitants. Alors que même l'imam de la mosquée n'avait ni livre ni la même barbe que mon oncle...
Nous passions dans un chemin qui coupait en deux le vieux cimetière villageois. Dans ce passage, il n'y avait pas d'épines piquantes, ni de cailloux pointus comme ailleurs... Je me sentais donc à l'aise au milieu de ce cimetière séculaire...
Tonton me dit: "Mon petit Saïd ce chemin déchire le cimetière pour que nous puissions passer... Nous passons là sur les corps de mes grands parents !" Dit-il sans me regarder. Je cherchais par terre mes ancêtres ! En vain...
Me voyant content et souriant - car le sol était lisse -, il me dit :"Tu sais toute la vie n'est qu'une déchirure !"
- Comment ça Tonton ? Tu parles de la déchirure des femmes ? Demandai-je en ... (passage réservé à mon livre).
- Non ! Je pense à une déchirure de paperasse... Sans elle tu ne serais pas ! Tu n'existerais pas ! Me dit mon oncle qui avait déjà la barbe toute blanche.
- Je ne comprends rien ! Tonton! Explique-moi ! Lançai-je, sincère.
- Avant ta naissance, ton père voulait retourner en France où il venait de passer presque vingt ans... Mais ta mère lui a déchiré tous ses papiers: son passeport, sa carte d'identité française... Bref tous ses papiers ! Ton père l'a battue; elle est partie chez ses parents... Quand elle est revenue, il a encore recommencé à la battre; puis elle est repartie chez ses parents... Et leur dispute a duré un an !
Autrement dit, si ta mère n'avait pas déchiré les papiers de ton père, il serait reparti en France et tu ne serais pas venu au monde !...
- Parce qu'on peut venir au monde ou ne pas y venir juste à cause d'un papier ? Demandai-je un peu perdu...
- On peut venir dans ce monde comme on peut le quitter juste à cause d'un bout de papier ! Dit mon oncle alors qu'on arrivait dans sa nouvelle maison de Tizkisdram... (partie cf mon livre)
Je n'avais jamais encore vu la véritable paperasse qui commande nos vies: Les billets de banque que personne ne peut déchirer, pas même ma mère, sous peine d'une lourde peine de prison. Ces billets (à suivre)
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