Nuit capitaliste sur la tribu des hommes libres devenus esclaves du fric.
Voici deux extraits de mon prochain roman intitulé :" Quand la France était un homme"...
Août 1934, Adolphe Hitler devenait chef d'Etat pour "sauver" l'Allemagne. Il ouvrit les premiers camps de concentration, les plus inhumains de l'Histoire européenne...
Vendredi 19 Août, pendant que le Führer savourait son éclatante victoire obtenue démocratiquement, mon grand-père maternel était, à moins de 4000 kilomètres au sud ouest de Berlin, sur son âne: Il allait tranquillement au souk hebdomadaire de Jemaa (Vendredi en arabe) de la tribu des Idaou Gnidif, dans les montagnes de l'Anti Atlas marocain...
Au même moment, sur l'aéroport militaire de Ben Sergao (Agadir), les soldats français chargeaient une escadrille d'avions de grosses et lourdes bombes qu'un navire de l'Aéronavale venait de débarquer au port d'Agadir...
Rapidement, l'escadrille décolla de la piste et se dirigea vers les montagnes du sud...Il fallait frapper les bougnoules avant la grande prière du vendredi ! Elle arriva au dessus des Ait Baha et des Ait Mzal, tribus déjà soumises aux autorités coloniales. Les avions montèrent un peu plus dans le ciel...
Mon grand-père, Saïd, arrivait au souk situé à près de 2000 mètres d'altitude non loin du sommet El Kest, où des bédouins remontés du Sahara ont rasé une merveilleuse cité il y a près de mille ans. De cette cité, dit-on, on pouvait voir la mer à 75 km à l'ouest...
Said tenait toujours son âne lorsque les énormes oiseaux de fer des Français firent pleuvoir, par une totale surprise, leurs gros engins qui sifflaient avant de semer la mort... Le sifflement disait :" Soumettez-vous ô sauvages ! Voici ce que la République Française peut faire !"...
Le géniteur de ma mère, voyant tous les hommes autour de lui criant puis tombant se réfugia sous son âne. Celui-ci s'écroula et couvrit son maître...
Ayant vidé leur chargement en quelques minutes, les avions de l'escadrille firent demi tour pour rentrer à leur base, laissant une véritable boucherie derrière eux...
Au souk Jemaa des Idaou Gnidif, il n'y avait plus que des cris d'humains et des gémissements de bêtes blessés à côté de corps inertes et de cadavres déchiquetés. Le sang des humains et celui des ânes, des mulets, des juments et des chiens se mêlait et coulait, coulait, coulait tel un petit ruisseau de Bordelais...
Les hommes survivants pleuraient de chaudes larmes. Seul l'imam, probablement habitué a laver les morts, se promenait entre les cadavres en répétant ses formules coraniques: "Allah Akbar !" et "Achhado Ana La Illaha Illa Allah..."
- Il faut les enterrer avant le coucher du soleil !" Déclara-t-il sans entendre les cris de douleur et les gémissements des blessés...
Presque tous les survivants avaient pris leurs jambes à leurs cous et s'étaient éloignés du souk. Il n'y avait debout que l'imam qui a fini par fuir le charnier, lui aussi...
Mon grand-père courait sur le chemin du retour à son douar d'Ayoufiss situé à environ 7 kilomètres du souk. Sur son chemin, il passa par notre douar, Tagadirt. Complètement à bout de souffle, il arriva chez ma mère, sa fille. Il lui dit:
- Les amis de ton mari ont tué tout le monde et toutes les bêtes au souk ! Leurs gros oiseaux de fer ont lancé d'énormes boîtes qui sifflent avant d'exploser par terre et de tuer... Mon âne a été tué sur moi !
Ma mère, qui n'avait même pas seize ans et qui venait de perdre son premier fils, Mohamed, était restée seule avec la famille de mon oncle car mon père était retourné en France, après lui avoir fait un second enfant, une fille non encore née.
- Mais !... Papa !... Ahmed m'a dit que les Français sont très bien élevés, gentils, généreux et civilisés... D'ailleurs, comme tu as vu, il est revenu de Saint Etienne (France) en doublant de poids et avec plein de cadeaux dans ses bagages. Nous n'avons pas pu, sa mère et moi, l'empêcher de retourner travailler là-bas très loin" Dit-elle les larmes aux yeux. Puis elle ajouta: " Il nous a dit qu'il devait marcher près d'une semaine avant d'arriver à Marrakech où il prenait le train pour Oran, en Algérie, ensuite le bateau pour Marseille (l'Espagne était en guerre civile)"...
- Mais pourquoi les Français ont attaqué notre souk ? Demanda le géniteur de ma mère. L'imam de Tagadirt, qui était présent dit sur un ton magistral :"Allah l'a voulu ! C'est mektoub ! (écrit, fatal)"
* * *
82 ans après, je passe devant la synagogue d'Agadir pour prendre place dans le salon de thé du coin. Je me suis retrouvé en face d'un vieillard assis tout seul. Il avait sur sa table un verre contenant une espèce de cocktail. Il le rapprochait de sa bouche puis l'en éloignait, plusieurs fois, avant d'éclater en sanglots.
Je me rapproche de lui et lui demande ce qu'il a, ce qui le fait pleurer. Il pose son verre de panaché puis il me dit:
- C'est dans ce même endroit, là, en face, que mon neveu Mustapha m'a volé à l'arraché 70 000 Dh il y a onze ans jour pour jour. Tous les autres hommes de ma famille m'ont fait mal. Ils aiment trop l'argent. Les jeunes ne baisent plus la main des vieux. Ils passent à côté d'eux en feignant de ne pas les voir, sauf, peut être s'il s'agit d'un vieux plein aux as ! C'est la chienlit !
- De quel bled es-tu ?
- Je suis des Idaou Gnidif !
- Mais qu'un neveu ou qu'un frère te vole cela n'explique pas tes larmes !
- J'ai été tellement en colère que je suis allé punir ma mère pour avoir produit ces petits monstres. Je voulais uriner sur sa tombe mais je n'ai pas pu. J'ai uriné dans une bouteille. J'ai versé quelques gouttes de larmes et c'est le cocktail que j'ai là devant les yeux. J'essaye d'en boire une gorgée mais je ne peux pas." Dit-il en éclatant, une nouvelle fois en sanglots.
En effet, depuis que les Français ont bombardé notre souk, nous nous sommes lancé dans leur civilisation du zouk, jusqu'à les dépasser en matière d'amour pour le fric, de subordination des rapports sociaux au pouvoir du fric... Petit à petit nous développons un système animal parfois aquatique, d'autres fois de la jungle ou du désert: le CSSI (Capitalisme Sauvage à la Sauce Islamique). C'est un système où personne n'est heureux en fin de compte: Des PDG faussement heureux et des travailleurs franchement malheureux à côté de millions de déshérités se droguant et aiguisant leurs couteaux, en attendant d'affronter les kalachs des kalakhs (idiots en darija marocain)
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