La stratégie du leapfrog, ou stratégie du saut de la grenouille, est celle qui a été retenue par l’Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES) pour qualifier le nouveau modèle de développement tel qu’il a été soumis à la CSMD fin février dernier. Le document vient d’être rendu public sur le site officiel de l’Institut sous le titre « vers un nouveau modèle de développement, rapport stratégique 2019-2020 ». La référence au saut de la grenouille, sur laquelle on reviendra ci-dessous, se justifierait par le souci pour le Maroc de rattraper les pays développés. Ce qui nécessite de raccourcir le chemin quitte à brûler les étapes.
Le point de départ de cette réflexion stratégique, qui contribuera à coup sûr à alimenter en idées et en propositions la Commission chargée d’élaborer le nouveau modèle de développement, est la vision royale telle qu’elle se dégage dans les différents discours et messages prononcés par le Souverain depuis notamment 1917. Bien sûr, le pays a enregistré des avancées sur plusieurs domaines : cohésion sociale, capital relationnel y compris sur le plan international, réconciliation des Marocains avec leur passé et leur mémoire collective, des stratégies sectorielles, développement des infrastructures, transition énergétique en cours…Mais il a connu aussi des insuffisances au niveau de la gouvernance, de la dégradation du capital naturel, de la qualité de son capital humain et des inégalités multiformes. Par conséquent, le NMD proposé vise à valoriser les premières et à corriger les secondes.
Pour ce faire, et en adoptant la définition du modèle de développement de l’ONU en tant que « schéma à suivre afin de promouvoir le progrès d’un peuple… et cadre de référence pour ceux à qui il appartient d’élaborer les politiques publiques » l’IRES, décline ses propositions sous forme de quatre piliers : la place de l’humain au cœur du développement ; le rapport de l’homme à la nature ; la planétarisation à savoir la convergence du local et du mondial dans une perspective nouvelle de « glocalisation » ; « l’exponentialité » à travers une optimisation digitale. Chacun de ces piliers est traité en quatre temps : compréhension, anticipation, paradigme et vision, propositions. Le tout est présenté dans un format marketing rendant le texte facile à digérer, un texte aéré par des illustrations, des encadrés et des références aux « best practices ». Intéressons-nous au côté propositions.
Ainsi au niveau du premier pilier, il est question d’une économie humaine avec notamment le développement des services de soins à domicile, entrepreneuriat social, d’une formation des jeunes pour les préparer au futur et en faire des citoyens responsables, mais aussi d’une formation des enseignants et des adultes. Il est question également de la réduction drastique des inégalités et de l’aménagement des espaces publics en rendant la ville plus humaine pour ses habitants et en éradiquant l’habitat non réglementé ou clandestin.
Au niveau du deuxième pilier, on retiendra la nécessité de régénérer les ressources fortement dégradées telles que les sols, les eaux, les forêts, les richesses halieutiques, la promotion d’une agriculture dite climato intelligente, et la valorisation des ressources écosystémiques rendues par la nature.
Au niveau du troisième pilier, l’accent est mis sur la le renforcement du développement territorial (en accélérant la décentralisation et en mettant en place une politique foncière dynamique), l’internationalisation de la connaissance (disséminer la connaissance mondiale), le développement de l’intégration régionale en particulier avec l’Afrique.
Au niveau du quatrième et dernier pilier, il est préconisé d’assurer la transformation structurelle de l’économie marocaine par le biais d’une industrialisation et de réussir la transition vers les valeurs ajoutées du futur (digitalisation avancée, intelligence artificielle) tout en plaidant pour une agriculture durable moins prédatrice et plus intensive écologiquement.
Pour réussir ce projet, il faut miser sur l’humain et l’innovation en s’engageant résolument dans un développement endogène et mesuré qui mettrait fin à « l’économie de la prédation ». Il faut également une nouvelle gouvernance basée sur le principe de l’honnêteté, l’agilité dans l’action, l’égalité de traitement, l’ouverture d’esprit…
Enfin, la contribution de l’Institut nous invite à réfléchir sur cette question centrale : faudrait-il absolument rattraper les pays développés et à quel horizon ou vaudrait-il mieux concevoir notre modèle de développement différemment sans être obnubilés par ce « complexe » de rattrapage ? Par ailleurs, s’il fallait absolument employer un langage animal pour qualifier les sauts que le Maroc devrait accomplir, il vaudrait mieux, de notre point de vue prendre l’exemple de la gazelle. Celle-ci associe à la fois élégance et rapidité.
(Publié le 30 juin 2020.)
Un amphibien se tenait immobile et fière sur une pierre du
muret en face de notre porte. Je vis son énorme bouche qui allait d’un coté à
l’autre en traversant toute la face, et son museau arrondi. Il avait une peau
rugueuse couverte de pustules. J’attendais qu’il coassât. Mais rien ! Pas
un mot ! Alors je me dis que l’animal pensait. Sa tête dessinait une sorte
de « v » provocateur. Ses yeux et son museau faisaient de sa grande bouche le
« ba » et le « ta », ces premières lettres de l’alphabet
arabe.
- Dis-moi ô grande gueule ! Pourquoi je
suis ici dans ce douar paumé ? D’où je viens ? Où vais-je ?
Pourquoi la souffrance et pourquoi la misère et la laideur ? Aurais-je pu
demander à la bête.
Celle-ci tourna
ses prunelles mais resta bouche cousue.
J’attendais qu’elle coassât. Je tenais toujours le caillou des
ablutions. Il était plus grand que le crapaud. Le tenant au-dessus de lui,
j’attendais un moment qui me semblait très long. La bête déplaça ses yeux une
autre fois, mais elle ne vit pas le caillou et resta silencieuse.
- Lorsqu’on a une grosse gueule, il ne faut pas
la fermer ! C’est une provocation ! Au moins coasse ! Ta raison
d’être est bien de manger – plutôt d’avaler car tu es sans dents – de manger plus
petit que toi, insectes et limaces et de coasser ! Même si tu as les yeux
sur la tête, tu ne regardes jamais qu’horizontalement, jamais en haut !
Criai-je à l’animal.
Le batracien
bougea. Mais c’était pour mieux s’asseoir et avoir son gros ventre contre la
pierre. Il étendit ses pattes courtes à gauche et à droite. L’animal avait tout
l’air d’un charmant prince du Capital, d’un chef de parti, d’un ministre, d’un
président de région, d’un wali ou d’un
super caïd métamorphosé en crapaud. Il
ne lui manquait que le fauteuil.
- Ramasse tes pattes et coasse ! Sale pouffiasse ! Criai-je en colère face à la bête suicidaire au sang-froid.
Vraiment bien froid. Elle semblait me crier : « Vas y
tue-moi ! J’en ai assez de manger plus petit que moi ! Assez de cet
ennuyeux et mortel menu ! Tue-moi ! ».
Le gros caillou
tomba sur l’animal et en fit une purée de viande hachée. Je croyais que ce fut
la volonté du GPMM (Grand Patron du Mont
Maaden) puisque je n’avais pas jeté la grosse pierre. C’était elle qui tomba toute
seule de mes mains. Croyais-je en priant en moi : « O
diable ! Pardonne-moi ! ».
Vite, je courus
dire à ma mère que j’avais tué un crapaud avec un caillou. Elle en fut très
troublée et n’arrêtait pas de prier Dieu que rien ne m’arrivât en conséquence. Mais
personne ne saura jamais que j’ai parlé au crapaud, ni surtout que le crime
avait été commis avec la pierre des ablutions à sec. Je sentis une étrange
volupté. Un triomphe sur la laideur.
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