ORDRES ET DÉSORDRES DES FRÈRES

Il m'arrive, rarement certes, d'aller prier dans une mosquée. La dernière fois, j'étais dans le premier rang, juste derrière un imam cinq étoiles. C'était un de ces imams qui agissent comme un aimant. Il faisait un quasi vide dans les autres  mosquées situées dans un rayon de un kilomètre à la ronde. Il avait une de ces belles et vigoureuses voix, une voix qui vous fait oublier le monde matériel qui vous entoure. Avant de commencer la prière, il s'adressa aux centaines d'hommes derrière lui :
-" En rangs  mes frères ! Faîtes bien les rangs ! Et les prieurs regardèrent à droite et à gauche pour se mettre en rangées bien droites. Il n 'y avait  pas de repère sur le sol  tapissé monochrome, pour bien s'aligner; pourtant nous arrivions à former des rangs si bien faits qu'ils rappelaient des alignements militaires...
Cela renforçait fortement et systématiquement  notre conscience communautaire. Cette pratique était pleine de significations. Elle expliquait bien des choses comme les miraculeuses et fulgurantes victoires remportées par les premiers musulmans lors des premières conquêtes, au VIIème siècle A.J.C....
Et on ne verra jamais un "frère" arrivant  avec un journal sous le bras, au lieu du petit tapis que la plupart ne porte plus, les mosquées s'étant sensiblement enrichies et  donc souvent couvertes de tapis. On assiste même à de timides nouveautés telle l'apparition chez presque tous les épiciers de quartier, chez  les boulangers, les bouchers, de petites boîtes métalliques hermétiques pour récolter la charité des gens. Il n'a pas été nécessaire de demander une fatwa pour l'introduction de ces boîtes créées et  utilisées dans les pays chrétiens, ces contrées où même la mendicité est organisée. On vient de me dire que ces boîtes marchent à merveille...
Une autre nouveauté est l'apparition de petites chaises personnelles mais sans les pieds, juste l'assise et le dossier pour les vieillards et les gens souffrant du dos... Il y a donc là du travail à faire...
Avec les mosquées de proximité de plus en plus nombreuses - plus de quarante quatre mille dans tout le Maroc- les cinq prières quotidiennes ont tendance à devenir toutes collectives aussi bien pour les retraités que pour les gens actifs... Il y a d'ailleurs une pression grandissante des proches et des amis, sur tous les hommes adultes et bien portants et même sur les enfants, pour qu'ils aillent à la mosquée chaque fois qu'ils en ont  le temps; et ils doivent en avoir le temps sinon ils risquent d'être mal vus, autrement dit : mal vendre, mal côtoyé , mal élu (= non élu), c'est-à-dire excommunié si on a le malheur d'exprimer ses doutes métaphysiques...
 Ainsi, on se met en rangs cinq fois par jour tout comme à l'époque du prophète Sidna Mohamed il y a quatorze siècles... Avec cependant une différence fondamentale:  après la prière, on ne discute plus dans la mosquée même, devenue un lieu spécialement conçu pour les prières uniquement et parfois pour des monologues...
 Après avoir prié, on va faire ses courses chez les marchands ambulants, généralement des barbus, qui squattent souvent  l'entrée des mosquées!...  Ils vendent des légumes, des fruits, des brochures religieuses, des tee shirt, des slips, des pièces détachées, des produits chinois,...enfin tout, vraiment tout et n'importe quoi... Et on voit de riches frères faire leurs courses ici. Ils pensent qu'ainsi ils font une bonne action en "aidant" ces croyants hors la loi, sur le trottoir et que l'Etat omnipotent a oubliés...
Consommez, en désordre, mes frères !... Consommez bien en désordre !... Et priez dans l'ordre  pour qu'il pleuve ou pour que les "Gens du Livre" qui cherchent le pétrole chez nous, le trouvent afin que vous puissiez  continuer à consommer en désordre...