Avec notre CSSI (Capitalisme Sauvage à la Sauce Islamique) nous sommes en train de faire une caricature d'une version de la démocratie très loin avant celle de la Grèce Antique . Une démocratie basée sur le nikah de ses frères et soeurs, sur leur mépris et sur leur réduction à l'état de mendiants...
El Saadawi est une des grandes voix de l’Egypte contemporaine. Une femme écrivain .Nawal connue à travers le monde, une femme engagée pour les droits de l’homme et de la femme, et récompensée par de nombreux prix dont le Prix Nord-Sud 2004. Invitée à Strasbourg pour participer au premier Forum Mondial de la Démocratie, Annette Gerlach et Evelyne Herber l’ont rencontrée le 11 octobre. A près de 82 ans, Nawal El Saadawi porte un regard incisif et critique sur l’évolution de son pays.
Les audios sont disponibles en version originale anglaise.
ARTE Journal : Un an et demi après la révolution, l’Egypte est-elle sur la voie de la démocratie ?
Nawal El Saadawi : Nous parlons de démocratie. Mais que signifie exactement le terme « démocratie » ? Pour nous il est assez vague, car ce mot « démocratie » n’existe pas dans la langue arabe, mais nous avons le mot « liberté ». Durant la révolution égyptienne, nous sommes descendus dans les rues et place Tahrir, contre Moubarak. Nous voulions la liberté, la justice, la justice économique et sociale et la dignité pour tous, peu importe le sexe, la classe sociale ou la religion. Nous étions 20 millions dans les rues, dormant sous les tentes en janvier et en février, et on ne revendiquait pas la démocratie. On revendiquait la liberté, la justice économique et sociale et la dignité pour tous. Parce qu’on peut avoir la démocratie avec de l’inégalité, avec de l’injustice et même avec la guerre et le capitalisme ou encore avec le colonialisme et le système patriarcal. C’est pour ça que je veux être précise sur l’emploi du mot » démocratie « . La révolution égyptienne a été géante. J’ai fait partie de ces gens qui ont dormi la nuit sous tente pour changer le système, Moubarak et tout ça…
Arte Journal : Que s’est-il passé depuis la révolution ?
Nawal El Saadawi : Que s’est-il passé ? La révolution a avorté. Qui a fait avorter la révolution ? Moubarak était hors jeu. Qui soutenait Moubarak ? Les Etats-Unis, ils donnaient des milliards de dollars à l’armée, à travers ce qu’on appelait l’USAID, corrompant ainsi l’armée, corrompant le système. L’argent américain, l’aide américaine est facteur de corruption. Nous avons voulu nous débarrasser de ce système corrompu. Que s’est-il passé ? Les pouvoirs qui soutenaient Moubarak ne voulaient pas que la révolution réussisse. Aussi ils ont allié leur force. De qui s’agit-il ? Des Etats-Unis et des Frères musulmans. Vous voyez la contradiction. Les Etats-Unis et les Frères musulmans ont travaillé ensemble, négocié ensemble, pour passer par-dessus la révolution et la faire échouer. Et ils ont fait avorter la révolution par deux moyens : d’abord les élections. Des élections prématurées, le pays saigne encore, des gens ont été blessés, certains sont morts, il y avait du sang dans les rues, des jeunes gens ont perdu la vue. Mais Hillary Clinton est venue au Caire en disant, il faut des élections. C’est leur démocratie, les élections. Mais la démocratie ce ne sont pas juste des élections. Il faut d’abord changer le système, pour qu’il soit plus honnête, plus juste, égalitaire, humain, pour qu’il apporte une vraie paix, une vraie démocratie. Mais c’est précisément ce qu’ils ne voulaient pas. Nous dans les rues, nous étions unis, 20 millions unis contre Moubarak et son système, c’est pour ça qu’on a réussi à le renverser. Alors ils nous ont divisés au moyen des élections. A la minute où ont démarré les élections en Egypte, les gens ont commencé à se diviser, ils ont été mis en compétition. La compétition, le sang, la violence, la corruption qui a permis d’acheter les votes. Tout cela a permis de faire avorter la révolution. Les élections étaient prématurées car nous n’étions pas prêts pour ces élections. Nous voulions nous organiser car la révolution n’est pas très créative, elle est surtout spontanée. Après on s’installe et on s’organise. Ils ne nous ont pas laissé le temps de faire cela. Les Etats-Unis et les Frères musulmans ont fait un deal et les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir. Ils ont dit « nous sommes arrivés au pouvoir par les élections », mais ce n’étaient pas des élections libres.
ARTE Journal : Quelle est la place de la femme dans la société égyptienne ?
Nawal El Saadawi : Depuis la revolution, mais déjà avant la révolution, j’ai beaucoup écrit sur ce thème, de nombreuses fois. La constitution n’est pas honnête, pas du tout. Mais c’est ainsi dans tous les pays, je ne parle pas seulement de l’Egypte ou de l’Islam. Je parle de cette maladie présente dans le monde, car nous vivons dans un monde unique et nous sommes confrontés à une maladie. Je vous rappelle que je suis médecin et non pas politicienne, alors je dois diagnostiquer cette maladie qui frappe le monde, le système lui-même. La charia en fait partie, la religion en fait partie. La religion est une idéologie politique. Ce n’est pas une cour de justice morale. La religion est faite par des être humains, par les hommes, le patriarcat, les classes sociales. On trouve tout ça dans la religion. Nous avons fait de nombreuses et grandes manifestations en Egypte contre les Frères musulmans, contre l’islamisation de l’Egypte, et nous avons dénoncé la constitution. Car un comité sans femmes a commencé à rédiger la constitution et ils ont introduit la charia. Nous avons dit que le pays ne devait pas avoir de religion, ça devait être un pays pour tous, pour les chrétiens, les musulmans, les hommes, les femmes, pour tous . Mais les Frères musulmans soutenus par les Américains, voulaient la charia. En Europe on ne le sait pas. En Europe, on pense que les Etats-Unis sont opposés à l’islamisation. D’habitude je dis, Georges Bush et Ben Laden sont jumeaux.
Le 4 octobre dernier, les femmes ont organisé une grande manifestation. Nous avons dit que les femmes sont la moitié de l’Egypte et que nous devons être représentées à parité partout, au gouvernement, au parlement, dans la société. Partout les femmes doivent être présentes à 50%. Et il doit y avoir une complète séparation de l’église et de l’état. Comme je vous le disais, nous vivons dans un seul monde. L’Egypte fait partie de l’Europe, des Etats-Unis, nous vivons ensemble, et nous souffrons des décisions prises par l’Union europénnne, par le gouvernement américain, par le gouvernement égyptien. Le global est local, nous utilison un mot pour ça, le « glocal ». Ca nous rapproche. J’espère que la prochaine manifestation au Caire prévue pour vendredi 12 octobre va réussir, même si les autorités ne vont pas l’autoriser. Car le pouvoir est puissant, et les Etats-Unis ne veulent pas perdre l’Egypte à cause d’Israël.
ARTE Journal : Comment faire évoluer les mentalités ?
Nawal El Saadawi : Pour faire évoluer les esprits, il faut l’éducation. La démocratie commence dans l’enfance à la maison. La démocratie ce n’est pas une décision prise au parlement qui se décrète un jour. La démocratie c’est un art de vivre. Dès l’enfance, je dois être éduquée pour comprendre et respecter l’égalité, avec mon frère, ma soeur, les gens qui travaillent pour moi. Je dois être un être humain dès l’enfance. Mais parce que le système est malade et inégalitaire, et qu’il existe une oppression sexuelle, une oppression de classe, les enfants sont contaminés par de très mauvaises valeurs contraires à la démocratie. C’est pour ça qu’ils ne peuvent pas être démocratiques de façon soudaine, juste en allant aux urnes. C’est un apprentissage. Il faut éduquer les enfants, comment respecter l’égalité pour que ça coule dans leurs veines. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Le système éducatif sert le système politque.
ARTE Journal : La rumeur prétend que vous pourriez obtenir le prix Nobel de littérature ?
Nawal El Saadawi : La rumeur, je rigole, je ne suis pas pour les rumeurs. Si on parle de justice, j’aurais dû avoir ce prix, il y a déjà 30 ans. J’ai écrit 47 livres traduits dans plus d’une trentaine de langues à travers le monde. Mes livres ont changé la vie de cinq générations en Egypte et dans le monde arabe. Et dans d’autres pays, même aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis, j’enseigne aux enseignants, pas aux enfants. Et les enseignants, les professeurs, là-bas m’ont dit que mes livres ont changé leur vie. C’est pour ça qu’ils m’invitent à leurs séminaires. C’est pour ça que je pense que je le mérite ce prix, s’il y a une justice.