lundi 18 janvier 2016

Djihad halal: 21 coups de canon pour la naissance de mon frère.

Voici un autre extrait de mon futur roman autobiographique:
                           
C'est une photo de l'époque, la belle époque Le rond point en face de l'Etat Major au tout début de l'avenue Mohamed V à Marrakech. On aperçoit à l'arrière plan derrière les arbres le djebel Guéliz. A présent ce rond point est méconnaissable: Une circulation difficile, des bâtiments écrasant à la place des arbres. D'ici 60 ans si tout va bien les produits de la SCIE (Société Capitaliste Individualiste et Égoïste) feront des manifestations pour réclamer le droit de se suicider en douce, par exemple à l'alcool...

...Une fin d'après midi de 1956, j'étais avec mon père dans notre microscopique épicerie de quelques mètres carrés au Petit Marché de l'Etat Major, au pieds du mont Guéliz à Marrakech. Mon père se sentait visiblement mal car le matin du même jour, un de ses anciens amis chez Citroën Paris, militant CGT comme lui, venait d'être assassiné et son magasin brûlé à Bab Doukkala dans la vieille médina.

La victime, tout comme mon père, parlait très bien le français et avait longtemps vécu comme lui à Paris. Personne ne comprit la raison de cet assassinat perpétré par les "nationalistes". Ces derniers racontaient que le tué était un "mouchard des Français". Mon père ne disait rien. Comme beaucoup de ceux qui parlaient français sans faire de politique, il devait certainement avoir peur...

On pouvait perdre la vie pour cause de : bien parler français, en effet.. L'interdiction de parler l'amazigh venait d'être annulée après la chute du fameux pacha Le Glaoui, son instaurateur. S'agissant du français, les "nationalistes" ne pouvaient absolument pas l'interdire. Ils essayaient seulement de caresser dans le sens du poil leurs bases populaires largement analphabètes, xénophobes et désireuses de s'emparer des biens des autres. Elles croyaient que l'indépendance signifierait l'oisiveté et le bien être...

Je jouais avec mon ami Robert Hazan, fils du propriétaire juif de la droguerie voisine de notre épicerie, lorsque je vis subitement devant moi mon cousin Brahim. Il venait de descendre d'un taxi. venant de la médina où l'autocar du bled l'a déposé. Il voulait aller à Meknès via Marrakech. Après nous avoir salué, il dit, tout sourire:
- Mon oncle! Tu as un deuxième fils!...
- Quand ? Est-ce-qu'il va bien? Comment il s'appelle?...
- Ne t'inquiète pas! Tout va bien! Il est né la semaine dernière!

Comme il n'y avait pas de communications rapides avec le bled, nous n'avions donc appris la naissance de mon frère que douze jours après. Il naquit donc tout comme moi, c'est-à-dire 100% bio, sans toubib ni infirmière; sans vaccin, sans balance ni aucune mesure, sans odeurs d’hôpital...

Fait exceptionnel: mon père offrit une limonade à mon cousin, non parce qu'il était radin mais il venait de France... Ensuite il le questionna, toujours en souriant; Il lui demanda sans attendre les réponses comment allait ma grand mère, mon oncle et toute la famille "chacun avec son nom"... Il invita mon cousin à passer la nuit avec nous.

Heureusement que celui-ci dit:
- Non. Merci mon oncle! Je vais prendre le train de nuit pour arriver à Meknès demain après midi.
Visiblement mon père était troublé par la nouvelle car si mon cousin avait accepté de passer la nuit chez nous, il découvrirait la seconde femme que papa avait secrètement.

Au coucher du soleil, mon père n'alluma pas la lampe à gaz de l'épicerie. Il prit un litre de rouge, le mit dans sa ceinture, ferma la boutique et enfourcha son Solex. Je courus monter derrière lui. Et il roula comme il ne l'a jamais fait. Je m'accrochais derrière lui de toutes mes forces. En cinq minutes nous arrivâmes chez nous au douar (village) El Koudia sur le flanc nord du mont Guéliz.

50 ans avant, lorsque l'armée française arriva à Marrakech, elle considéra Guéliz comme une énorme bûche à deux kilomètres de la ville impériale. Elle s'empara donc de ce gâteau avant de penser à la médina. Elle le fortifia et l'appela "Fort Guéliz" avant de "pacifier les chaînes montagneuses de l'Atlas. Au sud et à l'ouest, les Français fourrèrent ce gâteau de véhicules, de blindés et de munitions. Au nord et à l'est ils commencèrent à le manger: Deux grandes carrières étaient à l'oeuvre. 

La plus récente et la plus active était située à proximité de notre douar. Elle nous envoyait de plus en plus de pierres. On ne pouvait rien faire contre ce bombardement: Le royaume venait d'être indépendant, d'où une quasi absence de toute administration locale.

Il n'y avait pas d'électricité dans notre douar. Nous marchions doucement entre les pierres pour entrer chez nous. Mina vint nous ouvrir. Elle dit à papa:
- Tu es venu très tôt aujourd'hui! Qu'est-ce-qu'il y a ?
- J'ai eu un autre fils!
- Va à ton bled, ô chelh (berbère) !
- Je vais aller chez ta mère !  Lui cria-t-il en faisant le geste de lui jeter sa bouteille au visage. Et il  poussa la Aroubia  (arabe de la tribu des Rahamna) qui me fusillait du regard, dans la chambre en me laissant seul dans le patio où je me suis assis à même le sol. J'entendais le bruit du djihad halal de mon père. Il avait épousé Mina selon la charia: zaouaje al motaae (mariage de plaisir)...

Je regardais le ciel où mes trois autres frères étaient partis. C'était ma mère qui me l'avait dit. Il y avait notre frère aîné Mohamed puis les deux jumeaux juniors, Lahcen et Lahoucine. Je me souvins des moqueries de mes camarades qui me disaient que eux ils avaient plusieurs grands frères et moi pas un seul. Et cette nuit-la tout  changea.

A condition que mon frère qui venait de naître n'aille pas au ciel, lui aussi, ma mère pourrait descendre du bled et moi j'avais un frère!... Et la seconde épouse de papa -qui ne m'aimait pas- ferait ses valises. Me dis-je avant de m'endormir à la belle étoile. Je voulais fermer la porte de ce ciel pour que mon quatrième frère n'y aille pas.

Réveillé de bonne heure, j'entendis exploser, dans la carrière du Guéliz, une série de mines si proches que j'ai failli recevoir plusieurs pierres sur la tête. C'était comme vingt et un coup de canon annonçant la naissance de mon frère !

60 ans après je me demande si mes trois frères n'avaient pas eu, au fond, la chance de mourir en étant bébés, c'est-à-dire juste après avoir pleuré à chaudes larmes en criant, au lieu de vivre longtemps sans pouvoir crier et en avalant constamment ses larmes...

2 commentaires:

  1. Saïd l' 3aziz! ta biographie n' a rien a envier a celle d' un roi , j' y retrouve parfois, dans ces extraits, un peu de mon enfance de petit villageois tunisien, juif par hasard, galopin chapardeur de vergers et de bonbons chez l' unique épicier de monvillage natal, parmi les oliviers et les collines...ou l' arbre Kharouba abritait nos fumeries de premières cigarettes a 15 ans...

    juste des amis nés eux aussi 100% bio (j' ai bien aimé :lol: )et chrétiens, musulmans ou Juifs, une assemblée, une "bande" de petits "voyous" selon les normes d'aujourd' hui
    nous aborderons l' adolescence et nos 18/20 ans se passeront plus "calmement"

    je mets bien sur une option sur la parution heureuse de ce livre -Amine-

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    1. ENCORE UNE FOIS MERCI OUDAY ... QUE DIEU INFINI TE GARDE!

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