Ci-dessous un très intéressant article de mon ami docteur Abdeslam Seddiki sur l'actuelle situation économique de notre royaume du Maroc qui fait partie du monde d'aujourd'hui. Un monde devenu tel un village face au même sort : Un virus en Chine et nous voilà malades, une guerre en Russie et nous voilà en crise... Et cette mondialisation continue comme une fatalité !
Qu’attend le gouvernement pour juguler l’inflation et protéger le pouvoir d’achat de la population ?
Par Abdeslam Seddiki.
Les données publiées par Bank Al Maghrib, suite à la réunion de son Conseil le 22 mars dernier, affichent une situation macro-économique qui est loin d’être rassurante du moins pour l’année en cours. Contre toute attente, la croissance économique selon les prévisions de la Banque Centrale élaborées, sur la base d’une campagne agricole de 25 M qtx, ne devrait pas dépasser 0,7%. Ce qui nous place loin de l’objectif de 4% inscrit dans la déclaration gouvernementale et de 3,2% prévus par la loi de finances pour 2022. Les autres indicateurs ne sont pas non plus réjouissants. Ainsi, le déficit du compte courant se creuserait à 5,5% du PIB en 2022 après 2,6% en 2021. Par ailleurs, les importations progresseraient de 14,9% en 2022 en lien avec l’alourdissement de la facture énergétique et l’augmentation des acquisitions des produits agricoles et alimentaires et des biens de consommation. En parallèle, les exportations devraient s’améliorer de 12,5% en 2022, tirées principalement par l’accroissement des ventes de la construction automobile et par la hausse de celles des phosphates et dérivés. Corollaire de cette évolution contrastée : un creusement du déficit de la balance commerciale. Les recettes voyages ne connaitraient qu’une amélioration timide avec 47 MM DH en 2022 (contre 34,3 MM une année auparavant). Pour leur part, les transferts des MRE devraient revenir, après avoir atteint un niveau record en 2021 de 93,3 MMDH, à 79,3 MM DH en 2022. Concernant les IDE, les recettes avoisineraient l’équivalent de 3% du PIB en 2022. Pour ce qui est du niveau de nos avoirs officiels de réserve qui se situeraient à 342,8 milliards de dirhams à fin 2022 assurant ainsi une couverture autour de 6 mois et demi d’importations, ils ne suscitent pour le moment aucune inquiétude.
Cependant, l’élément le plus préoccupant dans ce tableau réside incontestablement dans le rebond que devrait connaitre le taux d’inflation à 4,7% après un taux relativement modéré de 1,4% enregistré en 2021. On rétorquera, non sans raison, que la Maroc n’est pas le seul à connaitre une telle hausse des prix. Nos principaux partenaires dégagent des taux plus élevés que le nôtre. Exemples ? Les Etats-Unis, enregistreraient un taux de 7,2% en 2022, après 4,7% en 2021 ; la zone euro, à son tour, dégagerait un taux de 5,1% en 2022, après 2,6% en 2021.
Ce phénomène inflationniste est dû pour l’essentiel à l’augmentation des prix des produits énergétiques couplée à celle des produits alimentaires. C’était une tendance perceptible avant le déclenchement de la guerre en Ukraine que celle-ci n’a fait qu’accentuer. Même si Bank Al Maghrib table sur un retour à la normale en 2023, cela reste tributaire de l’issue que prendrait cette guerre et de ses implications géostratégiques sur le reste du monde.
D’aucuns minimisent l’impact de la guerre sur notre pays en procédant à une analyse pour le moins simpliste et superficielle en prenant en considération la place relativement limitée des deux pays dans nos échanges extérieurs. Ainsi, sur la période 2016-2020, la part des importations en provenance de la Russie représente à peine 3% de nos achats à l’étranger et celle en provenance de l’Ukraine ne représente que 0,9%, sachant que dans les deux cas, nos ventes sont relativement modestes et peu diversifiées. Mais c’est faire fi d’une série d’effets de transmissions et de liaisons intersectorielles et interpays. Par exemple, un pays qui achète à la Russie un bien A peut, après sa transformation, le revendre à un autre pays, ce dernier peut faire de même à l‘égard d’un autre pays tiers etc. Ce qui nourrit la bulle inflationniste sans compter avec certains comportements spéculatifs sur les produits qui ne font qu’aggraver la situation.
Ainsi, les bourses mondiales sont prises de folie et la valse aux étiquettes ne fait que rajouter chaque jour de l’huile sur le feu inflationniste. Par exemple, la tonne de blé qui se négociait avant la guerre à 230 euros, dépasse aujourd’hui 400 euros. Pour le tournesol, le prix a doublé en quelques semaines passant de 1500 à 3000 $ la tonne. Pour le cours pétrole, le baril du Brent négocié sur le marché mondial a dépassé la barre des 100 $ voire il a culminé à 130 $ par moments. Et rien n’indique un retour à la normale au cours des prochains jours.
Dans de telles conditions, le monde est appelé à connaitre des situations de malnutrition, voire carrément de famine pour certains pays en développement trop dépendants de l’extérieur poussant la FAO à tirer la sonnette d’alarme. Sachant que l’Ukraine et la Russie fournissent à eux-seuls le tiers du blé exporté et qu’ils constituent des marchés incontournables pour le maïs, l’orge, le tournesol ou le colza et que la récolte en Ukraine suffira à peine cette année à couvrir les besoins intérieurs, la situation s’annonce difficile pour les pays du Sud. Ainsi, pas loin de 50 pays dépendent à plus de 30% de l’Ukraine et de la Russie pour leurs importations de blé et 26% à plus de moitié. On le voit aujourd’hui en Tunisie où la population peine à obtenir une baguette de pain, en Algérie où l’on a assisté à des bousculades pour acquérir un gobelet de lait. Sujet qui aurait dû préoccuper le Président algérien et en faire une matière d’échange avec son homologue américain au lieu de s’attaquer inutilement à notre pays dans sa diatribe verbale qui date de la guerre froide !
Il faut préciser que le malheur n’arrive pas qu’aux autres. Et un malheur arrive rarement seul. Notre pays vit lui aussi une période difficile marquée successivement, sinon concomitamment, par les effets de la pandémie, de la sécheresse et de la guerre contre l’Ukraine ! Il faut beaucoup d’imagination et d’audace pour y faire face. Le gouvernement y est mis à rude épreuve. Et c’est de la manière dont il arrive à gérer cet ensemble de problèmes que la population jugera le degré de son engagement et la pertinence de ses interventions. A notre avis, la première des choses à faire est de communiquer pour sensibiliser et rassurer toutes celles et ceux qui souffrent souvent dans l’indifférence. Cette communication indispensable et urgente, doit être suivie d’actions concrètes et immédiates concernant les mesures à prendre pour juguler, ne serait-ce que partiellement, cette inflation galopante , pour réguler le prix des hydrocarbures dont la hausse impacte le prix de l’ensemble des biens et services, pour soutenir les secteurs productifs sévèrement touchés par la crise, pour protéger le pouvoir d’achat des larges masses populaires, pour assurer un emploi stable et décent aux centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes qui sont sans aucune source de revenu.
Disons-le en toute responsabilité : la situation est grave. Il faut tout faire pour qu’elle ne devienne pas explosive. Notre pays n’est pas dénué de moyens d’action, il dispose de sérieux leviers pour intervenir. Que tous ceux qui ont profité des années fastes par le passé et accumulé des fortunes colossales souvent dans l’opacité et en dehors de la loi (enrichissement illicite), passent à la caisse. N’oublions surtout pas cette leçon que l’histoire ancienne et récente nous enseigne : à vouloir tout gagner, on peut tout perdre.
(Cet article sera publié dans Al Bayane de demain mardi 5 avril 2022)
Avez-vous lu Adema, la Juive de Demnate ?