Ci-dessous un article intéressant de mon ami Docteur Abdeslam Seddiki, précédent Ministre de l'Emploi et des Affaires Sociales du Maroc... Je m'excuse de moins écrire car je consacre tout mon temps présent à lire étant devenu conscient de l'ampleur de mon ignorance...
« Transitions », le terme est utilisé à dessein au pluriel. Dans la formation économique et sociale marocaine, on distingue au moins trois grandes transitions : démographique, économique et démocratique, ou politique d’une façon plus générale. Expliquons-nous.
Transition démographique d’abord : le pays a connu depuis l’indépendance une croissance démographique « galopante ». La population a plus que triplé entre 1960 et 2014 tout en passant progressivement de la dominante rurale à une dominante urbaine : alors que les villes n’abritaient en 1960 que 25% de la population du pays, c’est plus de 60 % de celle-ci qui se trouve dans les « villes » en 2014. Les conséquences de ce changement sont immenses à la fois sur la réalisation des conditions d’accueil dans les nouvelles cités, sur l’agencement du tissu urbain, sur la cohésion sociale et sur la sécurité. Ce qui explique comment nos villes sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui : des amas de béton sans âme !! Pour faire court, disons que les villes sont nées indépendamment du processus d’industrialisation et du développement économique du pays contrairement au mouvement vécu en Europe suite à la révolution industrielle.
Transition économique ensuite : La formation sociale marocaine est à dominante capitaliste certes, mais le capitalisme est loin d’être exclusif. Car subsistent toujours dans notre pays des formes de production pré-capitalistes comme la petite production marchande notamment dans l’agriculture et l’artisanat, les « travailleurs indépendants » exerçant des activités de survie dans plusieurs secteurs comme ces vendeurs ambulants qui envahissent nos villes, des formes de travail quasi-servile comme le « travail non rémunéré »...En somme, c’est plus de la moitié de la population du pays qui vit en « dehors » de la sphère capitaliste. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit indépendante de la logique capitaliste, loin s’en faut ! Elle constitue un marché, certes limité, pour le capitalisme mais aussi et surtout une « armée de réserve industrielle » dans laquelle on pourrait puiser à volonté et un moyen de pression sur les salaires dans la mesure où ces formes de production pré-capitalistes prennent en charge une partie de la reproduction de la force de travail.
Transition politique et démocratique enfin : on constate que la démocratie tarde à prendre forme. Sur certains aspects, on a l’impression qu’on avance à reculons ! En effet, le taux de participation aux élections baisse d’un scrutin à un autre, l’offre politique (terme à la mode) se dévalorise de plus en plus et n’a plus l’attractivité qu’elle avait auparavant, l’argent (propre et sale) est utilisé en masse pour influencer l’électeur. Ce dernier est généralement recruté parmi les « exclus » du système qui vivent dans la pauvreté et sont laissés dans l’ignorance.
De ces transitions lentes, quand elles ne sont pas bloquées, découle une réalité pour le moins complexe avec un paysage politico-économique flou et fluide. L’ennemi d’aujourd’hui peut devenir l’ami de demain et vice versa. Les alliances de classes (de quelles classes ?) sont fragiles et connaissent des retournements subits. Les classes sociales « en soi » sont largement majoritaires par rapport aux classes sociales « pour soi » pour utiliser cette distinction chère à Lénine. Les partis politiques, du moins les plus sérieux, qui s’estiment être les défenseurs des intérêts de telle ou telle classe sociale, l’intérêt national étant au- dessus de toute considération, ont du mal à sortir de cette confusion. La tâche est d’autant plus ardue pour un parti qui travaille avec des outils rationnels et ne joue pas le rôle « d’attrape- tout » en mangeant à toutes les ratatouilles !!
Ce travail de clarification, le PPS doit absolument le faire et ce en travaillant sur plusieurs fronts : combattre la précarité et les injustices sociales par un développement harmonieux du pays et une croissance inclusive ; plaider pour un enseignement de qualité qui libère les esprits et développe la rationalité scientifique ; travailler la société en profondeur sur les plans culturel et idéologique afin de contrer le développement de la pensée rétrograde et fondamentaliste qui s’empare de notre jeunesse et l’empêche d’adhérer aux valeurs universelles de progrès et d’émancipation. Ce sont autant de perspectives autour desquelles nous pouvons mobiliser les Marocains pour bâtir une société juste, solidaire et débarrassée de toutes les scories inhibitrices de la modernité.
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