60 ème anniversaire du débit d’alcool de mon père
Pour
fêter cet anniversaire voici quelques extraits d’un roman autobiographique que
je vais mettre en ligne l’année prochaine si je ne trouve pas un très bon
éditeur en France car au Maroc il vaut mieux mettre en ligne que publier… Je le
ferai sauf si la mafia me tue... car, figurez-vous, nous aussi on a des
mafias qui ont beaucoup grandi et qui protègent l'ordre établi…
« … A
la veille de l’indépendance et pendant que les unités sénégalaises de la Légion
Etrangère sortaient de leurs casernes de Guéliz pour aller mettre de l’ordre, dans le sang,
sur la place Djamaa El Fna , mon père ouvrait son épicerie et il n’y avait pas
d’épicerie sans alcools dans le Guéliz à cette époque-là… ».
« Revenu
de France après dix sept ans de travail comme O.S. de chromage chez Citroën, mon père a décidé de s’installer au pays qui redeviendra vite, loin du chromage et du nickelage le bled du niquage... Ma
mère ayant brulé son passeport et tous ses papiers y compris sa carte de
militant C.G.T qui venait de lui épargner d’être réquisitionné dans le bled
pour un chantier de route . Tous ses papiers ont été brûlés sauf sa carte de
Sécurité Sociale que j’ai récupérée et qui lui servira, plus tard, à réclamer
ses droits… ».
« En
France, il était un bon émigré : Il mettait entre parenthèses sa culture
et sa religion dans un respect total pour ses hôtes qui l’exploitaient halal.
Il buvait du vin sans jamais se saouler, mangeait du porc et du camembert tout
en restant musulman. Il n’a jamais prié sur la chaussée et n’a jamais demandé,
encore moins exigé, de menu halal… Ahmed était un coureur de jupons très
fertile puisque à chacune de ses visites au bled, il laissait ma mère enceinte…
En France, il avait de nombreuses aventures à une époque où la contraception et l'avortement, n’étaientt pas généralisés… Je l’ai même entendu dire que très certainement, il
avait laissé un fils ou une fille à Paris, à Saint Etienne ou à Lyon… Autrement
dit, je dois avoir très probablement un frère ou une sœur, des neveux et des
nièces anonymes restés en France et considérés comme « Français de souche
pur sang »…
-« Femme !
tu es enceinte ! C’est bien ! Mais si tu me donnes une troisième
fille, tu resteras au bled ! Si tu me donnes un second garçon, je t’amène
vivre avec moi à Marrakech ! ». Ces paroles de mon père à ma mère
résonnaient constamment dans ma petite tête, surtout que mon père avait une
seconde épouse, une arabe pure (?) des tribus des Rahamnas, au nord de
Marrakech. Elle s’appelait Mina et était un peu comme les mines qui explosaient
dans la carrière, à deux pas de notre maison au douar El Koudia, sur le flanc
nord du Guéliz . Elle n’arrêtait pas de me traiter de
« chleuh »(berbère) . Et je n’arrêtais pas de prier pour que ma mère
ait un garçon afin de venir avec moi en ville… ».
« Mon
père ouvrit donc une très modeste épicerie de cinq mètres carrés avec eau et
égout mais sans électricité. C’était un espace triangulaire dans l’un des deux
bâtiments circulaires formant le petit marché de l’Etat Major du quartier
militaire du Camp Mangin au pied sud de la montagne du Guéliz . Le sommet du triangle était le fond de la
boutique où il y avait un robinet ; tandis que , devant, un côté formait
le comptoir . A gauche de celui-ci, il y avait la caisse , à droite une
glacière qui fonctionnait avec de la glace fournie quotidiennement par un
livreur . Sous ce comptoir, il y avait une porte basse. La majorité des clients
était composée de françaises épouses de militaires français. Elles
s’intéressaient surtout à l’état des camemberts, du gruyère et des autres
fromages … ».
Je suis à
gauche devant la porte
Agé
d’environ six ans , je m’asseyais sur une caisse de vin vide à cette porte sous
la grande planche-comptoir et devant un beau panneau de Martini & Rossi . De ma place, je voyais constamment deux choses : 1- A vingt mètres sur la route , derrière les eucalyptus j’apercevais
les jeeps , les camions et les blindés de l’armée française et de la Légion Étrangère qui allaient et venaient matin et soir.
2- A vingt
centimètres au-dessus de ma tête , je voyais les culottes des clientes
françaises . Il y en avait de toutes les couleurs . Des noires , des roses ,
des bleues , des rouges , des blanches …
Une fois , pendant que je regardais une belle culotte rose , la dame me
remarqua et dit a papa :
_« Tu as un beau fils avec
de très beaux yeux verts … Pourquoi tu ne l’envoies pas chez moi à l’école européenne
du Camp Mangin ?! … Je fus donc envoyé chez Madame Nicole Billard, institutrice
épouse de M. Jean Billard directeur de l’école du Camp Mangin … Et c’est ainsi
que la culotte rose de Nicole Billard changea ma vie de fond en comble . ».
« …
Parmi les leçons que j’ai retenues chez Madame Billard, une leçon sur les races
(sic) : Madame dit devant la classe en me montrant du doigt :
- Regardez
votre camarade Said ! Il a de grosses lèvres, il a donc des ancêtres noirs
africains ! Il a des yeux bleus, il a donc des ancêtres
européens ! » J’ai donc compris que je descendais d’un mélange de
races. Mes cinq litres de sang n'étaient donc pas du tout purs ! Et comme dans le douar d'origine de ma mère, il y avait une famille juive, les Ait Slimane, je demandai à Madame:
- J'ai donc aussi du sang juif, Madame ?
- Oui ! Said !
Et quelques années après, la mode du « black is beautiful » aidant, je me révoltais
contre un esclavage familial. En effet, juste avant l’arrivée des Français dans
notre tribu, mon grand père avait acheté un petit enfant noir. Au souk de
Tazerwalt, on lui « vendit » contre une vache maigre un enfant et un
sac de blé… Les Français fermèrent ce marché aux esclaves mille trois cents ans
après l’avènement de l’islam !... ».
« … A
cette époque-là , deux autres choses m’éblouissaient et s’incrustaient dans ma
mémoire :
- La première c’était
lorsque je regardais derrière la grille les unités de l’infanterie françaises
s’aligner dans la cours de leur caserne (l'actuel lycée français Victor Hugo) . Je croyais
que ces hommes-là jouaient avec leur
belle tenue …
- La seconde c’était le dépôt des ordures
ménagères des Français de Guéliz, situé à cent mètres de notre boutique sur la
route de Casablanca (actuellement Résidence Zahia) . J’adorais aller au milieu
de ces ordures multicolores jamais vues car chez nous le peu de déchets se
désintégrait vite dans la nature … ».
« …Notre
boutique microscopique était mitoyenne de la droguerie de M. Hazan de même
dimension . Ce juif avait un fils, Albert (actuellement prof à l’Université de
Tel Aviv), avec qui je jouais assez souvent jusqu’à l’affaire de Suez lorsque
les Sionistes firent leur propagande au sein de la communauté juive marocaine
avec le soutien des corbeaux musulmans qui voulaient prendre les
biens des juifs. Mon ami Albert me montra des photos de Paris Match où les Israéliens
attaquaient les troupes de Nasser . Il me disait : « Regarde ce que
nous vous faisons avec nos avions et nos bateaux ! » . C’est ce petit juif
qui créa en moi un sentiment artificiel d’être arabe, sentiment renforcé peu
après par la propagande nasserienne panarabe… ».
« A l'indépendance du Maroc, peu de
temps après , M. Hazan partit en Israël avec sa famille . Il vendit sa droguerie
à un certain M.Charouite (en arabe M. Chiffon). Un vrai chiffon remplaça le
juif ! M.Charouite fut pour moi , le héro du premier djihad du Makhzen (pouvoir
marocain) contre les alcools :
Il était grand de taille, plein de vie mais analphabète. Il a appauvri et désorganisé la droguerie que M.Hazan lui a vendue...
Un soir il acheta un litre de rouge, comme d'habitude, chez papa, le mit dans sa ceinture
et enfourcha sa bicyclette pour aller à la Médina où il habitait . Sur la route, en face de la prison de Bou Lamharze, deux policiers sentirent le vin et sifflèrent à M. M.Chiffon de s’arrêter. Loin
d’obtempérer, il se lança dans un sprint
à vélo poursuivi par les deux policiers eux aussi à vélo. Avant d'arriver à la porte de Bab Doukala et au niveau du nouveau cimetière musulman, il jeta son litre de vin qui explosa sur
la chaussée telle une bombe. M.Charouite s’arrêta alors et présenta ses mains
aux deux flics … Au commissariat il fut relâché faute de preuve … Et le lendemain
il nous raconta son acte héroïque qui lui a fait éviter un mois de prison pour consommation de vin et à
mon père d’être inculpé de vente d’alcool à un musulman.
C'était le début de l'application de la législation ivre de la consommation des alcools par les Marocains, musulmans à 99,99 % dit-on, puisque les juifs vont vite partir. Il suffisait qu'un Mohamed ou qu'un Ahmed - musulman ou assimilé - reconnaisse devant le juge avoir bu une bière pour que ce juge se voit obligé de condamner le buveur du breuvage "haram" à un mois de prison ferme et ce même si ce juge lui même venait de prendre un verre d'alcool ! Ce fut le temps où le dosage de la religiosité et de l'islamisme semblait s'affaiblir face aux courants marxistes en plein essor...
Ainsi et des années plus tard, les autorités idéologiquement déséquilibrées, nous obligeront à prier collectivement au lycée Ibn Abbad sur le terrain de basket goudronné. Ce fut une grosse caricature du sacré acte musulman: On embrassait le goudron en chantant la janaba (après tout acte sexuel même une masturbation, le musulman est impur à prier = janaba. Il doit se laver) et en cherchant qui a des réserves en gaz pour péter... Les enseignants français, majoritairement de gauche, riaient sous cap... ».
« …En
revenant du spectacle de parades de l’infanterie française, à deux pas du
marché de l’Etat Major, je n’arrivais pas à croire mes yeux : Mon père,
derrière son comptoir, ne m’a pas vu. Il sonnait la trompette. Serait-il,
secrètement, devenu français ? Aurait-il une trompette qu’il me
cachait et qu’il sortait en mon absence ? En me voyant approcher, papa se dépêcha de
finir sa bière… ».
« …L’électricité
arriva à notre boutique à l’aube du règne de Hassan ll . Elle accompagna une
véritable électrocution de notre société . Le « Mouvement national »,
l’élite des pauvres fellahs, celle des artisans
et celle des fkihs (curés) et des instituteurs se lança dans la course à la
propriété. Il fallait bien récupérer les bénéfices de « la lutte pour l’indépendance »… On s’arracha des biens agricoles, fonciers et immobiliers cédés pour peu,
parfois pour rien, par les colons français et par les juifs marocains … La
corruption devint la principale industrie et la clé de la réussite sociale … ».
«...Quinze ans après, mon père transféra son épicerie au 72 avenue de Casablanca devenue avenue Mohamed Abdel Krim Khattabi, en face de l'ancien dépôt d'ordures ménagères des Français du Guéliz. C'était les années noires du règne de Hassan II, la veille des deux tentatives de coup d'Etat sanguinaires... J'étais révolutionnaire, comme beaucoup de jeunes de mon âge ... J'ai passé deux nuits dans la cave du commissariat de Djamaa El Fna... Le matin, j'allais être inculpé de plusieurs délits dont "usurpation de fonction d'élève-officier de police". Deux bouteilles de whisky Red Label données par papa au commissaire m'ont libéré... Au lendemain de la Marche Verte, en poste au lycée Al Kindy de Nador, et en tant que responsable régional de la Koutla (gauche marocaine) j'allais offrir deux Red Label à Fathallah Oualalou (ex ministre des finances et ex maire de Rabat) venu faire un speech à la maison de jeunes de la ville rifaine... Il m'a seulement dit, en mettant les whiskys dans le coffre de son R12: " Tu es à côté de Melilla et tu ne donnes rien que deux...". Si j'avais donné une caisse, je serais au Politburo ou, au moins, au Comité Central...»
« A cette époque-là, il n’y avait pas encore de
milliardaires au Maroc , encore moins des archi milliardaires, il n’y avait pas de grandes surfaces pas de
chaînes de boutiques, pas de sacs en plastique, pas de concurrence déloyale entre des tribalistes
arrivistes et incultes projetés rapidement dans la SCIE (Société Capitaliste
Individualiste et Égoïste) qui scie les familles, pas de TVA, pas de 4x4 qui
permettent de mépriser les piétons, les cyclistes et ceux qui roulent en R4… Papa avait juste un vélomoteur solex … Il est
mort dans la clinique Mutuelle au quartier Hassan à Rabat, en présence du
nouveau propriétaire de cette clinique, feu le docteur Abdel Karim El Khatib
qui au lieu de bien s’occuper de ses malades s’occupait plus de politique.
C’est lui qui créera, une fois vieux, le PJD, le parti islamiste qui dirige
actuellement notre gouvernement… A présent, mon père et le docteur reposent « en
paix » au cimetière des chouhadas (martyrs) de Rabat. Un cimetière
devenu LE cimetière des « gens importants »… Je crois que si papa avait choisi son lieu
d’enterrement il n’aurait pas choisi ce cimetière où les dossiers de ces
« gens importants » empêchent le commun des mortels de reposer en
paix… » .
L’année
prochaine nous fêterons les 60 ans de l’indépendance du Maroc. Or, à mesure que
celle-ci vieillit, la soif qui fait le plus de dégâts est la soif maladive
d’argent et non pas d’alcool. Celui-ci n’étant pas du tout plus haram (péché)
que l’esclavagisme, que la spéculation, ou que le monopole, ou que l’ignorance,
ou que la monnaie de singe, ou que les sociétés anonymes telles celles des
carrières…
L’alcool
étant un des antidotes du poison djihadiste islamiste, le temps n’est pas loin
où le Makhzen (le pouvoir marocain) se mettra à le vendre pour le bien des
musulmans au cas où il y aurait pénurie de vendeurs en raison d’une fiscalité
scandaleusement élevée et du regain de religiosité chez les commerçants… Déjà
que certains fonctionnaires et élus commercialisent les alcools surtout
clandestins et de contrebande. Dans l’extrême nord, à Tétouan, par exemple, et
jusque au Sahara Occidental Marocain.
Dans le
Sahara, les alcools clandestins et de contrebande font bien plus de victimes
que tous les faits d’armes et les batailles contre les nomades séparatistes
marocains soutenus par l’Algérie… Il y a 60 ans, la mahia était presque
inconnue. Ce breuvage d’origine hébreu se répand à mesure que la communauté juive se
réduit. De près de 10% de la population il y a 60 ans, les juifs ne sont plus
que moins de un sur vingt mille… Cette histoire de mahia montre que si les juifs
n’existaient pas il faudrait en inventer…
Ainsi et
presque involontairement et inconsciemment, le Makhzen (pouvoir) pousse au
développement des alcools clandestins et de contrebande dont les effets sociaux
et sanitaires justifient à posteriori des lois issues d’une anachronique
charia… Et la boucle du système islamique est bouclée. Un système totalitaire
qui n’a rien à voir avec la religion musulmane normalement tolérante et
libérale… C’est pourquoi et en tant que musulman – si je veux, là où je veux,
quand je veux et comme je veux – je crois que l’alcool n’est ni halal ni haram
mais seulement « makrouh »(à éviter surtout quand c’est très dosé)…
Je rejoints en cela un grand philosophe tunisien (M. Talbi) et des oulamas (savants en
islam) d’El Azhar Acharif…
Le Solex ou le 4x4 de feu mon père
PROCHAIN EXTRAIT:
A l'occasion de la Marche Verte: "A Oran, j'ai espionné le Polisario pour 20 Dirhams"